L’acidité n’est pas l’amertume
Il faut sans doute que j’explique mieux que je ne l’ai fait pourquoi l’on peut désacidifier facilement une sauce.
Mais avant de commencer, il apparaît que je dois surtout expliquer que désacidifier (rendre moins acide) n’est pas la même chose que desamertumer, rendre moins amer.
L’amertume, c’est par exemple la sensation un peu particulière d’une bière, dont le goût amer est apporté par le composé nommé humulone, du houblon. C’est présent dans le café, dans le thé trop infusé, aussi, mais on ne doit pas confondre, alors, avec l’astringence, qui est une sorte de resserrement de la bouche, d’asséchement. C’était présent dans les endives, avant que les sélections variétales ne fassent des endives sans amertume. C’est la sensation qui s’ajoute au sucré dans un Schweppes...
Et cela n’est pas la même chose que l’acidité, que l’on a quand on goûte du vinaigre, du jus de citron...
Ce que je propose de discuter ici, c’est de retirer de l’acidité et non pas de l’amertume.
J’ajoute d’ailleurs que la question de l’amertume ennuie beaucoup l’industrie pharmaceutique, car nombre de principes actifs sont amers, de sorte qu’il faut trouver des moyens de faire disparaître cette sensation pour rendre les traitements mieux supportables.
Sur l’acidité, on peut agir. L’expérience fondatrice consiste à partir d’un peu de vinaigre cristal que l’on goûte, pour bien s’assurer d’une sensation acide, pas amère mais acide, très acide.
L’expérience consiste à ajouter au vinaigre une pincée de bicarbonate : ce que les chimistes nomment plus justement justement hydrogénocarbonate de sodium.
Quand on met la pincée de bicarbonate dans le vinaigre, on voit des bulles apparaître, une effervescence.
Puis, quand cette effercescence a cessé, on ajoute à nouveau une pincée de bicarbonate, et l’on voit à nouveau une effervescence...
Et ainsi de suite jusqu’à un moment où il n’y a plus d’effet : si l’on goûte, on s’aperçoit que la solution n’est plus acide, mais un peu salée.
Car effectivement le bicarbonate de sodium qui a réagi avec l’acide acétique du vinaigre a libéré du dioxyde de carbone gazeux, mais aussi du sodium, en solution : et c’est cela qui fait un goût salé.
Évidemment, cette expérience est une expérience pour bien comprendre. En pratique, on n’ira pas jusqu’à ce point extrême où il n’y a plus du tout d’acidité (et d’effervescence), car un peu d’acidité ne messied pas, en cuisine. Ce qui permet d’ailleurs éviter un salage excessif.
Ajoutons qu’au lieu de neutraliser un acide par une "base" (le bicarbonate), on aurait pu faire l’inverse : neutraliser une base par un acide.
On serait parti d’une solution de bicarbonate dans de l’eau initialement eu un goût basique, désagréable, et l’on aurait combattu ce goût avec du vinaigre : il y aurait eu la même réaction, la même effervescente, et l’on aurait progressivement perdu la saveur basique pour arriver à neutralité (salée), cet état où il n’y a plus d’effervescence.
En cuisine
En cuisine, maintenant, il y a souvent des systèmes acides parce que les fruits contiennent des acides variés : malique, acétique, citrique, succinique, etc.
Et la question est souvent de désacidifier un peu.
Là, quelques pincées de bicarbonate suffisent : on les ajoute en goûtant et on s’arrête quand on est content du résultat.
Bref on voit que les cuisiniers peut agir sur l’acidité des mets.
Pour l’amertume ? Je rappelle que c’est une autre affaire, qui se traite très différemment et bien plus difficilement.
Le sucre et alors utile, mais il suffit le goûter du Schweppes pour s’assurer qu’il n’est pas suffisant : c’est à la fois sucré et amer.
D’ailleurs, il faut terminer en disant qu’il n’existe pas un amer, mais plusieurs et certains amers sont tout à fait remarquables, tels ceux des bières.
Il y a lieu, quand on cuisine, de bien comprendre : le grand cuisinier Edouard Nignon, dans les années 1910 et 1920, a écrit des pages mémorables à ce propos, dans son Heptaméron des Gourmets : je vous invite à les consulter.