Le blog de Hervé This : http://www.agroparistech.fr/1-A-propos-de-ce-blog.html->http://www.agroparistech.fr
Quelle heure est -il ? Sept heures trente-deux. Le dialogue a commencé, et il s’est arrêté. Ce n’était pas une bonne question pour encourager une discussion, telle que nous en souhaitons avec les amis. Et voilà pourquoi, si, effectivement, les questions appellent des réponses, il faut distinguer les questions étouffoirs et les question étincelles.
La question précédente était une question étouffoir : elle a produit une réponse qui n’invitait pas à la poursuite du dialogue. En revanche, il y a des questions merveilleuses, telles que "Pourquoi l’estomac ne se digère-t-il pas lui même ?", et cette question-là est de celle qui nous maintiennent en éveil pour longtemps : dans un tel cas, on peut s’interroger à l’infini.
Plus trivial, ce « Dors-tu avec le menton au-dessus ou au-dessous des couvertures ? » : on sait que cette question conduit nos amis à ne pas pouvoir dormir, puisqu’ils s’interrogent sans cesse et que, dans quand il dormiront, ils ne sauront pas où est leur menton.
On le voit : il y a des questions qui donnent à penser, qui sont comme des cadeaux que nous faisons à nos amis.
Dans une conférence, je crois que c’est une bonne pratique que de poser des questions, bien sûr, mais il faudra des réponses. Le folkoriste russe Vladimir Propp a bien montré que les contes populaires sont composés comme des systèmes de parenthèses emboîtées : à une parenthèse ouvrante, c’est-à-dire en réalité une question, devra correspondre une parenthèse fermante, c’est-à-dire une réponse.
Je me suis souvent amusé, ainsi, à faire des conférences où j’enchaînais les questions et où c’est seulement à la fin que je refermais les parenthèses en rafale. Cela, c’était pour la structure des conférences, et il y avait une sorte de grand bonheur à finalement clore, dans l’ordre, les différents chapitres, à donner tout d’un coup la réponse à des questions j’avais posées. Comme une succession de petites catharsis qui, donc, apportaient toute une série de soulagements successifs (j’invite évidemment à lire ou à relire la Poétique d’Aristote, où ce dernier explique que la chute d’une histoire, le dénouement, doit apporter un soulagement moral en même temps qu’il élève l’âme).
Mais, en cours de route, il y avait aussi des questions étincelles, ces questions dont j’espère toujours qu’elles parviendront à enflammer le brasier intérieur de mes interlocuteurs. À cette évocation de brasier intérieur, il faut que je rappelle cette idée due au moins à Aristophane : enseigner, ce n’est pas emplir une cruche, mais allumer un brasier. Le problème de l’enseignement, c’est que nous ne savons pas à l’avance quel brasier va s’enflammer et que nous devons donc faire feu de tout bois (sans jeu de mot) pour avoir une chance de mettre nos amis sur une voie très positive, leur propre voie, celle de leurs recherches personnelles.
On voit que la question des questions est très belle, et mériterait est bien plus discutée dans l’enseignement.